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juil. 26, 2017

Les grandes « affaires » historiques à Toulouse (3ème partie)


Troisième partie de la conférence-visite dans les rues de Toulouse animée par Michel ALIAGA le 15/06/201.

Catégorie : General
Posté par : michelgeny

L'affaire Jean Calas

De la rue des pénitents gris, nous prenons la rue du Taur, traversons la place du Capitole, prenons la rue St Rome (qui était naguère le principal axe de rues de Toulouse, et arrivons au N°50, rue des filatiers (N°16 autefois), devant la maison Calas. C'est une maison de pans de bois, crépie par la suite. L'immeuble date de la fin XVIème.

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Maison Calas - 50 rue des Filatiers

Jean Calas est marchand drapier, installé depuis 1740. Il est âgé de 63 ans. Vivent ensemble sa femme Anne-Rose Cabibel, 51 ans, son fils aîné Marc-Antoine (28 ans), son 2nd fils Jean-Pierre (27 ans), son plus jeune fils Donat (21 ans), ses filles Anne-Rose (20 ans) et Anne (19 ans), et enfin la bonne Jeanette. Ils sont protestants, sauf la bonne qui est catholique car il leur est interdit d'avoir une bonne protestante.

Le jour du drame, le 13/10/1761, leur ami Gaubert-Lavaysse, dont le père est avocat, leur rend visite. Ils se mettent à table vers 19 : 30, leur ami dîne avec eux. Ils l'honorent, car ils lui servent du roquefort, mets rare et apprécié. Marc-Antoine se lève de table vers 20 : 30, croise la bonne, et dit se rendre au café, rue des 4 billards, lieu où il joue et dépense souvent beaucoup d'argent.

Plus tard, quand Pierre et Gaubert Lavaysse descendent, ils trouvent la porte entre le couloir et l'arrière-boutique entrebâillée, et Marc-Antoine pendu, à la porte entre l'arrière-boutique et la boutique. Toute la famille et la bonne l'apprennent aussitôt, la bonne crie : « ils l'ont tué ! ». On envoie quérir le capitoul Raymond David de Baudrigue, qui arrive avec la main-forte : ils trouvent la porte fermée, la clé disparue, Marc-Antoine allongé sur le sol avec une écharpe noire autour du cou. Et Jean Calas dit : on l'a trouvé comme ça.

L'incohérence des témoignages est manifeste, mais ils ont tous juré sur la bible. Puis ils avouent avoir maquillé la pendaison, toujours en jurant sur la bible. Donc de Baudrigue a beau jeu de les accuser de parjure, de ne pas les croire et de persister dans son idée qu'ils ont tué Marc-Antoine Calas car il voulait se convertir au catholicisme.

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Jean Calas interpellé par la « main forte »

Or il n'y a aucune trace d'agression. Le capitoul aurait dû faire venir le médecin légiste tout de suite, mais il ne l'a pas fait, c'est seulement 48 heures après que celui-ci est venu. De même, le capitoul ne fait procéder à aucune perquisition. Dans les poches de Marc-Antoine, on trouve des papiers, des poèmes et chansons « obscènes », le capitoul dit : jetez-les !

On comprend le souci de la famille Calas de conduire les enquêteurs à écarter l'hypothèse du suicide : à cette époque, le suicide était considéré comme un acte très grave : le cadavre nu était posé sur du fumier disposé sur un brancard en bois, tiré par un âne à travers les rues de la ville. Il était jugé, car le cadavre était considéré comme son propre assassin. On le brûlait, puis on portait les restes et les cendres à la décharge publique.

Le père Jean Calas avait un caractère difficile. Il s'était certainement durci en raison de l'ostracisme dont souffraient les protestants, et de ses problèmes d'argent. Le jour-même, il avait envoyé son fils Marc-Antoine échanger 400 louis en monnaie.

Contexte dans lequel vivent les protestants à Toulouse au XVIIIème à Toulouse

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Portrait de Jean Calas

En 1761, les protestants sont censés ne même plus exister, ils sont moins de 200. Ils n'ont pas d'état-civil, sont méprisés, sans droits. Marc-Antoine fait des études de droit, il est le seul à être cultivé dans la famille, mais, étant protestant, il ne peut accéder à aucune charge publique. Les protestants doivent se marier dans une église catholique et y faire baptiser leurs enfants. Donc ils ont une double vie.

En Mai 1762, doit se dérouler la célébration du bi-centenaire le la « grande délivrance » : en Mai 1562, soit 10 ans avant la St Barthélémy, il y a à Toulouse beaucoup de protestants, et l'élite Toulousaine en compte un bon nombre : ils sont membres du Parlement et des Capitouls.

Une faction protestante semble menacer les catholiques, ce qui conduit à une guerre civile urbaine. On peut dire que Toulouse est à la pointe des guerres de religion protestants / catholiques (mais ne pas oublier le massacre de Wassy, également en 1562, mené par le duc François de Guise).

Donc à Toulouse, en 1562, une véritable guerre de rue commence, les protestants se réfugient au Capitole, les catholiques aux Jacobins. Les catholiques perdent du terrain, mais le Duc de Joyeuse intervient et reprend le dessus. Le massacre des protestants commence. A la fin, ceux qui restent sont expulsés par la porte de Villeneuve (emplacement de la Place Wilson). C'est la « grande délivrance ». La porte sera murée après. Et chaque année, en Mai, se tient dans la ville une immense fête orchestrée par les parlementaires et les capitouls pour célébrer la « grande délivrance ».

En plus, en 1761, on est en pleine guerre de 7 ans (1756 – 1763), véritable guerre mondiale à l'échelle européenne, guerre de tous les catholiques contre tous les protestants. La France en sortira ruinée, perdant le Canada, les colonies. D'où le ressentiment amplifié contre les protestants.

Le procès

Toute la famille est arrêtée, ainsi que Gaubert Lavaysse et la bonne. Pour R. David de Baudrigue, il faut faire emprisonner tout le monde, car ils sont tous coupables d'un complot familial visant à tuer Marc-Antoine pour l'empêcher de se convertir au catholicisme.

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La famille Calas, Lavaysse et la bonne (sans le père Jean Calas)

Sur la personnalité de « De Baudrigue » :

C'est un homme important, venant de la noblesse récente de Carcassone. Il est capitoul depuis 1747, perpétuel, contrairement aux autres capitouls qui sont élus d'année en année. Il s'est brusquement radicalisé, devenant un véritable intégriste maladif, terrorisant tout le monde après avoir mené une vie de « fêtard » étant jeune. Il est capitoul responsable de la police, et son obsession, ce sont les jeux d'argent. Il multiplie les descentes de police dans les grands hôtels de la ville. Par exemple, il fait irruption chez la comtesse de Duras-Fontenilles en pleine séance de jeu. C'était une dame très importante, elle le chasse en lui lançant un chandelier. La haute société menait joyeuse vie au XVIIIème, et les bals les plus réputés se tenaient à l'archevêché.

Retour au déroulement du procès :

L'assesseur dit : ce que vous faites est contre la législation, mais il n'est pas entendu. M. Challier est l'avocat des Calas, il est ostracisé et malmené par Baudrigue, qui fait conduire les Calas au Capitole le 13 octobre au soir. L'interrogatoire commence aussitôt. Puis le second interrogatoire se tient le 14 Octobre. Le 15 Octobre a lieu le « brief intendit », avec ses questions qui n'en sont pas et qui accusent. Le 17, c'est le 1er « monitoire fulminé », où les noms de la victime et des accusés ne doivent pas être cités. En fait, le prénom de Marc-Antoine est cité, et le nom des Calas est suggéré.

Il faut 20 preuves, qui seront obtenues, comme on l'a vu (cf. 1ère partie), avec une somme de 1/4èmes et de 1/8èmes de preuve.
Début Novembre, tout est prêt pour la sentence : les 4 capitouls déclarent que toute la famille, ainsi que la bonne et Gaubert Lavaysse, doivent être soumis à la question ordinaire et extraordinaire.

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Les adieux de Jean Calas à sa famille

M. de Laganne, procureur du roi, demande l'exécution de toute la famille, ainsi que de Gaubert Lavaysse. Il fait donc appel de la sentence des capitouls. Et comme la torture demandée par les capitouls est une peine inflictive, qui porte atteinte à l'intégrité physique de la personne, les Calas font appel.
Le dossier est transmis au parlement de Toulouse, qui compte 50 parlementaires.
M. de St Florentin pense que le nombre de parlementaires devant juger les Calas devrait être de 23. En fait, ils ne seront que 13.

Le procès recommence. Seul le père sera torturé. Il n'avoue pas. Comment faire ?
On décide alors de dissocier le cas du père, Jean Calas, de celui de tous les autres. Par 8 voix sur 13, il est condamné à mort pour le meurtre de son fils.

Le 9 Mars 1762, il est amené place St Georges, soumis au supplice de la roue. Le 10 Mars 1762, après une ultime séance de torture, où il clame son innocence, tous ses membres sont brisés, par 11 coups de barre de fer. Puis, en « adoucissement » de peine (Jean Calas redoutait énormément le bûcher), on l'étrangle avant de livrer son corps aux flammes. 

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Illustration de la mort de Calas

Quelques mois après, la mère, la bonne et Gaubert Lavaysse sont relaxés. Pierre est banni de la ville. Les 2 filles sont enfermées dans des couvents séparés.

Epilogue

Le commerçant Audibert, quelques jours après, rencontre Voltaire et lui raconte toute l'affaire. Voltaire voit le plus jeune fils, Donat Calas, et il est convaincu de l'innocence de Jean Calas

Après l'intervention de Voltaire, et la parution de son traité sur la Tolérance en 1763, Jean Calas sera réhabilité le 9/3/1765. Si Voltaire se plaît à s'entretenir avec Donat, il n'en va pas de même avec Pierre (« huguenot forcené »). Quant à la mère (« imbécile huguenote) »), il ne la connaît que par relation épistolaire.

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Voltaire

Voltaire écrit à l'Europe entière, à Frédéric, à la grande Catherine, etc.   bref un nombre considérable de lettres. Il favorise l'installation de la famille Calas à Paris. Mme Calas est reçue à Versailles par Marie Leczinska, qui lui octroie une pension. Le roi est assailli de demandes de révisions de procès.

L'affaire est re-jugée à Paris en 1765, tout le monde est acquitté. On montre les fautes des Capitouls. Le roi demande que le jugement soit publié dans toutes les villes. Le Parlement de Toulouse s'y oppose. Au nom du roi, M. de St James oblige les parlementaires à le faire.

Mais jamais le Parlement de Toulouse ne reconnaîtra l'innocence de Jean Calas. Le conseil du roi destitue Raymond David de Baudrigue, qui devient fou, peut-être en raison de son intégrisme religieux extrême devenu maladif, et meurt, probablement en se suicidant.

Il était de la confrérie des pénitents blancs et avait fait enterrer Marc-Antoine Calas en grande pompe catholique. C'était un individu en proie à la formation réactionnelle, luttant contre ses pulsions.

Quand les cendres de Voltaire seront portées au Pantheon, on fera défiler les filles Calas habillées en vestales, victimes de la religion et du pouvoir monarchique. On ira jusqu'à décapiter le petit-fils de R. David de Baudrigue, à cause des fautes de son grand-père !

Toute la noblesse parlementaire de Toulouse (53 personnes) sera décapitée en 3 jours, en 1793.

Conclusion

L'enquête et le procès ont été menés uniquement à charge, en infraction avec la législation de l'époque : on a condamné à mort sans preuve et sans aveu Jean Calas.

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Une des productions cinématographiques

Marc-Antoine s'est sans doute suicidé, on ne saura jamais pourquoi. Il est peu probable qu'il ait été assassiné (par exemple pour des dettes de jeu).

Depuis 1765, 150 ouvrages, téléfilms… ont été écrits ou réalisés sur  cette affaire. Une des analyses les plus justes est celle réalisée par André Castelot et Alain Decaux. Parmi les moins objectives figure celle d'une révisionniste intégriste, Marion Sigau, qui entend « prouver » que Jean Calas a tué son fils. Pour elle, tous les philosophes des lumières, et en particulier Voltaire, ainsi que les protestants, sont des gens « mauvais ».

Aujourd'hui, il existe une association (« Jean Calas, l'Europe nous regarde »), dont le siège se tient dans la maison des Calas, au N° 50 rue des filatiers.

3ème extrait de la conférence de M. Aliaga - Rédaction : A. Maumus
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